Plaidoyer pour équilibrer les besoins et les devoirs Une réflexion sur le stress dans notre société
Dans les années quarante, le psychologue Abraham Maslow a tenté d’établir une classification des besoins de l’être humain, dans une hiérarchie pyramidale portant à sa base les besoins physiologiques primaires : alimentaires, repos…
Au sommet, le besoin d’accomplissement de soi et aux stades intermédiaires les besoins de sécurité, d’appartenance et d’amour, les besoins d’estime.
La satisfaction des besoins prioritaires
Sa réflexion, pour pertinente qu’elle soit, s’est affinée par une représentation dynamique où les différents besoins, en fait, s’imbriquent au lieu de se superposer comme dans la pyramide initiale. Montrant ainsi que la satisfaction de certains besoins considérés comme prioritaires, calme l’appétit pour d’autres besoins.
Dans les années soixante, l’analyse psychologique des besoins souligne un lien privilégié avec le milieu professionnel. Cette analyse considère que l’essentiel de la motivation est enraciné dans la culture d’appartenance d’un individu.
Tout en reconnaissant, de plus, une part d’épanouissement personnel au travail, à travers la valorisation ressentie dans son rôle professionnel.
Mais, ces dernières années, le paysage de nos entreprises a changé. Le stress au travail est devenu un problème de santé publique.
Est-ce à cause de la mondialisation, de la crise économique, de la précarité de l’emploi, des open-space, de la concurrence sur les marchés… ?
L’ambiance en entreprise en a pâti : “Le stress au travail tue plus que la cigarette”. “Alors que les partenaires sociaux négocient un accord sur l’amélioration de la qualité de vie au travail, de récentes études mettent en exergue son impact sur la santé et la vie personnelle des salariés”. “Depuis 2003, le baromètre du stress au travail mis en place par Opinion Way a atteint un niveau inégalé. ” Sources Marion Guérin, L’EXPRESS, 30 novembre 2012.
Toujours selon Opinion Way, dans une de leur enquête visant à classer les causes de ce stress au travail, ils concluent :
« La pression de la hiérarchie et la surcharge de travail viennent en tête, suivis de la situation de crise et ainsi la peur de perdre son emploi. Le manque de communication avec le manque de clarté des rôles et des responsabilités. La pression des clients et les relations entre collègues est moins souvent mise en cause. »
Les nouvelles pathologies au travail
Un nouveau vocabulaire de pathologie au travail est apparu : risques psycho-sociaux, toyotisme, Burn-out, les TMS : troubles musculosquelettiques, l’accident du travail E-S-A : État de Stress Aigu et même suicide au travail …
Loin de vouloir faire une analyse étiologique du phénomène, mon propos, en tant que médecin, est de présenter une réflexion et des solutions au fléau du stress en entreprise.
Dans le monde du travail, les salariés au sens le plus large de l’échelle sociale, sont souvent confrontés à une hiérarchie qui s’impose avec trop d’autorité, ou qui fait la sourde oreille sur l’avis de ses subordonnés, ou encore à un certain immobilisme du style « on a toujours fait comme ça ! ».
Le danger de ce défaut d’écoute est d’installer une ambiance de frustration, un manque de reconnaissance pour les services rendus et l’absence de valorisation de l’apport personnel.
À terme, la gestion par ce type de hiérarchie risque donc paradoxalement, d’installer une perte de motivation qui impacte directement la production de l’entreprise, un désintérêt pour son travail.
On parle ainsi du présentéisme : se dit de l’attitude d’un individu, certes présent au travail mais démotivé et peu actif.
Il nous faut retrouver cette culture d’appartenance. Recréer le : « Je suis heureux et je m’épanoui à travailler dans cette entreprise »
L’entreprise comme seconde famille
En vérité, l’entreprise représente une seconde famille. L’employé passe une bonne partie de la journée sur son lieu de travail et même souvent la majorité de son temps actif.
Le travail est bien-sûr le “gagne-pain”, mais aussi et surtout il peut générer une image de marque, un certain degré de fierté d’appartenir à ce groupe. Ainsi, peut-on construire, sur cette fondation saine, des relations porteuses pour l’entreprise.
À la réflexion et d’une manière très générale, les rapports humains vis à vis de l’autorité, sont régis par deux principes fondamentaux : l’amour et la crainte.
Si l’autorité est assise sur la crainte, l’ambiance de l’entreprise est pesante et ne laisse plus de place à l’initiative personnelle.
Si, par contre, l’autorité est basée sur « l’amour », à traduire au niveau professionnel, par le terme « respect » et « bienveillance », la valorisation et la considération de ses collègues, de ses supérieurs comme de ses subordonnés, l’ambiance de l’entreprise retrouve la notion d’appartenance, c’est à dire qu’elle rend la possibilité de s’épanouir au travail et d’y donner le meilleur de soi.
Une belle illustration :
Mon grand-père maternel était un ébéniste de talent.
Au Maroc, il fabriquait des meubles et gérait leur vente dans plusieurs magasins. Après l’indépendance du Maroc, avec l’exode des français d’Afrique du nord, il est parti précipitamment et a dû sacrifier tous ses biens. Il est arrivé en France métropolitaine totalement démuni. Il a ensuite trouvé du travail comme simple ouvrier dans une usine de meubles.
Lui qui avait toujours été un artisan indépendant et le chef de sa petite entreprise demeurait néanmoins toujours animé de hautes valeurs morales. Sa conscience du travail bien fait lui donnait une application très naturelle et un rythme de travail rapide qui le distinguaient des autres salariés.
Bien des années après sa retraite, je me rappelle de sa satisfaction et de l’éclat dont brillait ses yeux, quand il racontait que, tous les matins, le patron traversait l’atelier pour venir le saluer et lui serrer la main et combien cela l’encourageait dans son travail.
Et je pose la question : combien cette marque de respect et de gratitude a-t-elle coûté à l’entreprise ?
Je pense que notre société moderne d’une manière globale et le management en entreprise, ont dérivé vers une crise d’individualisme et d’autoritarisme fondée sur trop de rigueur, à priori motivée par une course à la performance.
En oubliant trop souvent de privilégier les qualités humaines de courtoisie et de sympathie. Un paradoxe pour notre société qui se veut moderne. Il est temps de retrouver un visage plus humain ou plutôt plus humaniste.
Un ami, professeur de pharmacie, m’a donné à réfléchir lors d’un trajet en voiture, en insistant sur l’importance de faire un geste de remerciement, au volant, pour avoir eu la possibilité de passer ou bien un geste sympathique pour inviter un piéton à traverser… Il en parlait comme de gestes de courtoisie sociale qui servent, d’une certaine façon, à élever la société.
Chacun a bien à sa portée les moyens intelligents d’œuvrer, autour de lui, dans ce sens du respect et de la bienveillance.
Un fait divers édifiant :
Dans une usine de production de viande, employant plusieurs centaines de personnes, se sont produit les faits suivants.
Un membre du personnel est resté accidentellement enfermé, en fin de journée, dans une des chambres froides et a failli en mourir.
Il doit la vie sauve au gardien du site qui a donné l’alerte, entraînant les recherches dans toute l’usine, jusqu’à le retrouver, gelé mais encore vivant, ce qui a permis de le réanimer.
Quand le gardien a été interrogé sur la certitude qu’il avait affirmé que quelqu’un était resté dans l’usine, il a répondu que, tous les jours, défile devant lui tout le personnel de l’usine, mais que matin et soir, il était habitué à être salué par le “bonjour, comment ça va ?” et “au revoir, à demain ! ” de cet homme sympathique et souriant. Le soir en question, il avait réalisé qu’il lui manquait ce salut et qu’il s’était, à coup sûr, passé quelque chose de grave.
Sa bienveillance, sa courtoisie lui ont sauvé la vie !
Ainsi, le respect mutuel et la bienveillance sont des valeurs sociales incontournables. Elles se conçoivent dans le domaine professionnel, entre collègues et surtout vertical avec la hiérarchie.
Le respect ainsi que la bienveillance peuvent ainsi représenter la base d’une nouvelle pyramide.
Considérons maintenant non plus la pyramide des besoins de Maslow, mais la pyramide des devoirs.
Dans l’entreprise, la base de la pyramide représentant les employés, avec au-dessus la direction et au sommet la direction générale.
Pour optimiser le fonctionnement de l’entreprise, il nous faut rétablir certains principes équitables et parler certes, de la pyramide des besoins mais bel et bien aussi des « devoirs ». Le devoir des salariés de s’appliquer dans leurs tâches et le devoir de la direction de se montrer bienveillante et animée de respect envers ses salariés.
La base de la pyramide formée par les salariés mérite toute la considération de la part de la direction puisqu’elle représente la fondation solide de l’entreprise, elle en est l’agent de production.
Les différentes manifestations de bienveillance émanant de la direction vont forger des relations fructueuses qui stimulent la production. Les salariés traités avec cette considération vont naturellement ressentir cette bonne ambiance de travail et exprimer leur gratitude envers la direction. Cette réciprocité est indispensable à la pérennité de la qualité de vie au travail.
D’autant que dans notre contexte actuel, les difficultés économiques que génèrent la crise économique aident à prendre conscience du caractère précieux du travail et de la tâche ardue de la direction.
Cet article porte sur la redéfinition des droits et devoirs dans notre société, en particulier au plan professionnel, dans ce contexte où les revendicateurs oublient souvent qu’ils ont des devoirs et pas seulement des droits et des acquis sociaux….
En fait, ces qualités d’écoute, de respect et de bienveillance restent primordiales, bien sûr même en dehors du cadre professionnel et en particulier dans le cadre familial et conjugal.
Nous pourrions faire, au sein de la cellule familiale, la même analyse que dans le milieu professionnel. Cet aspect pourra faire l’objet d’un prochain article.
En attendant, pour une vie meilleure, ces qualités doivent nous inspirer au quotidien.